L’économie sociale et solidaire (ESS) est une manière d’entreprendre autrement, où l’économie est au service de la personne et non l’inverse.
Davis Bornstein est l’auteur de Comment changer le monde : Les entrepreneurs sociaux et le pouvoir des nouvelles idées. Après une récente mise à jour, ce livre est désormais disponible pour la première fois en format de poche. Nelson Mandela lui-même a dit que le livre était « merveilleusement plein d’espoir et éclairant ». David est aussi l’auteur de : Le prix d’un rêve : l’Histoire de la Banque Grameen, qui décrit la croissance mondiale de la stratégie de lutte contre la pauvreté, le « micro-crédit ». Le prix d’un rêve, écrit après 10 mois de recherches dans des villages du Bangladesh, a gagné le second prix des Harry Chapin Media Awards, était finaliste au concours de la librairie publique Helene Bernstein de New York dans la catégorie Excellence en journalisme, et a été sélectionné par les chroniques de San Francisco comme étant l’un des meilleurs livres de business de 1996. Des articles de Bornstein ont été publiés dans The Atlantic Monthly, The New York Times, New York Newsday, Il Mundo (Italie), Defis Sud (Belgique) et dans d’autres journaux. Il a co-écrit pour le service public la série de documentaires de deux heures « To our credit » , centrée sur le micro-crédit dans 5 pays. Bornstein est détenteur d’une licence de commerce de l’université McGill à Montréal et d’un master d’art à l’université de New York.
1. Question : Existe t-il des différences fondamentales entre le fondateur d’une entreprise à but social et celui d’une entreprise à but lucratif ?
Réponse : Cela dépend de ce que vous entendez par fondamental. En termes de tempérament, de compétences, de volonté, de façon de poser des questions et de résoudre des problèmes, les fondateurs de sociétés à but lucratif et de sociétés à but social sont très fortement semblables. Nous observons de plus en plus d’entrepreneurs sociaux utilisant le format d’une entreprise lucrative pour atteindre leurs objectifs. Par conséquent, un entrepreneur social n’a pas à diriger une entreprise à but non-lucratif. En réalité, la différence réside dans ce que l’investisseur cherche à maximiser. Quelle est la motivation principale qui se cache derrière la création de votre entreprise, quelle que soit sa forme ? Essayez-vous de développer des remèdes contre des maladies touchant un grand nombre de pauvres des pays en voie de développement comme Victoria Hale le fait avec One World Health ou essayez-vous de dominer le marché mondial des baskets ou des shorts à la mode pour jockey ? Les entrepreneurs créant des sociétés à but lucratif construisent toutes sortes de choses. Les entrepreneurs sociaux sont tout d’abord motivés par des impératifs éthiques. Ils cherchent à répondre à des besoins urgents. La question de savoir pourquoi est prépondérante.
2. Question : Il y t’il des différences fondamentales entre les personnes qui vont travailler pour une start-up sociale et celles qui travaillent pour une start-up à but non lucratif ?
Réponse : La grande différence est que les gens qui travaillent pour une start-up dédiée à créer un changement social sont moins motivés par le fait d’avoir un bon salaire puisque ça n’est généralement pas le but ultime. Si vous réussissez merveilleusement bien, vous ne devenez pas riche, vous changez le monde. La différence peut parfois être reliée à la hiérarchie des valeurs qui gouvernent les décisions de l’entrepreneur social, et ce qu’il pense devoir accomplir pour être heureux et se sentir en accord avec lui-même ou, à contrario, pour obtenir l’estime et l’admiration qu’il recherche.
3. Question : Dans le monde des affaires, on mesure les performances grâce au chiffre d’affaires, comment procéder dans celui des entreprises sociales?
Réponse : Cette tâche est rude puisqu’il existe des entreprises sociales de toutes sortes. Quant il s’agit de faire du profit, vous pouvez comparer les performances financières des entreprises qu’elles vendent des voitures ou des cafés. Mais comment comparer le succès d’une organisation qui aide les personnes handicapées à être indépendantes et à vivre décemment avec une organisation qui offre des aides financières et scolaires pour des enfants provenant de milieux défavorisés ? Il n’y a pas un repère unique qui serait comparable aux revenus ou aux profits dans le milieu des affaires mais il y a clairement des organisations qui parviennent à avoir plus d’impact par dollar dépensé que d’autres. Comparer des entreprises sociales n’est pas aussi simple que de rentrer des données sur une feuille de calcul et d’obtenir un résultat. Mais en combinant des paramètres bien choisis, qui compare les différentes formes de preuves ou d’analyses non-numériques, il est possible de raisonner et d’aboutir à des jugements fiables sur les organisations faisant le meilleur travail. Finalement, ça n’est pas totalement différent de ce que font intuitivement de nombreux investisseurs et agences d’évaluation dans le monde des affaires. Les investisseurs regardent les valeurs humaines - l’équipe, l’enthousiasme, la qualité de résolution des problèmes, le management, la volonté, le potentiel de croissance - quand ils prennent des décisions. Vous pouvez faire la même chose avec des entrepreneurs sociaux.
4. Question : Comment les entrepreneurs sociaux peuvent-ils attirer des talents quand les salaires et les avantages qu’ils proposent sont peu élevés ?
Réponse : En offrant aux personnes des opportunités d’emploi adaptées à leur talent, leur valeurs et leurs intérêts. En leur donnant envie de changer le monde, de faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Nous devons relever la supposition cachée derrière cette question, c’est-à-dire le fait que les gens chercheraient à maximiser leurs gains d’argent. Effectivement, nous sommes tous concernés par le fait de gagner de l’argent. Mais les choix que les gens font chaque jour - devenir professeur, avoir des enfants, faire des dons à une œuvre de bienfaisance – prouvent que nous sommes des créatures complexes motivées par différentes choses. Tant de richesse et de liberté, et nous semblons obsédés par trouver le bonheur ! Chaque jour un nouveau livre, donnant des indications pour devenir heureux, paraît. La plupart des gens sont aujourd’hui immensément riches en comparaison de leurs grands-parents, cependant de nombreuses études démontrent que nous ne sommes pas heureux, et peut-être moins qu’eux. Exercer un métier stimulant et significatif entouré de collègues respectés et appréciés est ce qui rend par-dessus tout les gens heureux et comblés. Les entrepreneurs sociaux offrent cela.
5. Question : Est-ce la raison pour laquelle d’importants hommes d’affaires se tournent vers l’entreprenariat social ?
Réponse : Ces hommes d’affaires se tournent vers l’entreprenariat social pour les mêmes raisons que de nombreuses autres personnes : ils voient de nouvelles opportunités de résoudre des problèmes de façon créative. En tant que personne, ils ont bien plus de pouvoir pour comprendre et s’atteler aux problèmes que par le passé. Ils ont d’énormes besoins de résoudre ces problèmes qui ne sont pas traités par les institutions traditionnelles, que ce soit des entreprises, lucratives ou non, ou le gouvernement. Ils ont vécu ce qui pourrait être décrit comme « l’échec du succès », l’extraordinaire accumulation de richesses et de possessions sur ces cinquante dernières années qui a laissé les gens insatisfaits. Quand Bill Gates annonça qu’il désirait réduire petit à petit son engagement à Microsoft pour diriger sa fondation, il précisa clairement que ce n’était pas un effacement mais plutôt un réordonnement de ses priorités. Pourquoi ? Au cours de ses voyages de recherche dans les pays en voie de développement, il dut faire face à des personnes souffrantes et parfois mourantes, et il ne pouvait rien faire pour elles. Il vit donc qu’il pouvait être plus utile au monde en aidant à développer des vaccins contre le SIDA ou la malaria ou en facilitant l’accès aux soins, qu’en créant des logiciels informatiques, quelqu’en soit la valeur. Beaucoup de personnes tirent les mêmes conclusions. C’est comme un réveil général.
6. Question : Les gens apprécient qu’un magnat laisse tomber ses gros billets pour se reconvertir dans une entreprise à but non lucratif, mais l’inverse se produit-il parfois ?
Réponse : Ce que nous observons aujourd’hui, c’est que les échanges sont plus nombreux entre l’entreprenariat à but social et les entreprises. Il est de plus en plus commun de trouver des gens qui ont travaillé sur des projets sociaux ou environnementaux pendant des années et qui découvrent une opportunité en entreprise qui augmentera leur impact. L’élan d’entreprenariat chez CleanTech en est un parfait exemple. Clean Tech est dirigé par de nombreuses personnes travaillant pour des projets environnementaux et qui ont vu le monde des affaires comme une machine formidable pour parvenir à leurs fins. Dans le secteur de la santé, nous commençons à voir des professionnels ayant jusqu’à présent fait carrière dans la médecine publique, créer leur entreprise fortement inspirée du modèle d’une entreprise lucrative pour résoudre les problèmes qui leur tiennent à coeur. De plus en plus de personnes évoluent dans un secteur neutre ; ils cherchent à avoir un impact maximum et cherchent l’outil le plus efficace pour faire ce travail. Il semble que cette tendance perdure dans le futur.
7. Question : Qu’est ce qui fait que certaines personnes passent à l’action pendant que d’autres restent à cogiter ?
C’est difficile à dire. Pourquoi des personnes, qui tergiversent pendant des mois, appuient soudain sur l’accélérateur? À un certain point, ne rien faire devient plus pénible que de payer des impôts liés à notre nouvelle activité. La même chose peut être appliquée à d’autres aspects de la vie. L’inaction cause une peine émotionnelle, spécialement si quelque chose nous tient à coeur. Par conséquent, plus nous sensibiliserons les gens aux problèmes, plus ces problèmes seront émotionnellement difficiles à supporter, plus les gens deviendront actifs. Aussi, il y a tout ce qui découle de l’action - le plaisir anticipé et la satisfaction. Être actif – le plaisir de collaborer, le sentiment de satisfaction et le tressaillement de voir les choses changer, la joie de donner – sont toutes potentiellement des grandes motivations. Mais souvent nous oublions de parler de ces aspects du changement. Le dernier point est que nous ne voyons que les aspects « qui font bien », le sacrifice, le côté éthique, mais nous oublions souvent de mentionner à quel point il est merveilleux d’agir en accord avec ses valeurs profondes. Finalement, les gens délaient souvent car ils ne savent simplement pas où ils vont, ce qu’ils doivent faire, ou comment faire le premier pas. Il y a donc un grand besoin d’outils qui aideraient les gens à trouver leur place dans le champ de l‘entreprenariat social et de l’innovation sociale. C’est en fait le sujet du livre que je suis en train d’écrire.
8. Question : Quelles sont les choses qui tiennent à distance un entrepreneur social potentiel ?
Réponse : Les blocages majeurs sont dus à un manque de fonds rationnellement alloués qui permettraient de construire des institutions internationales. Nos meilleures entreprises sont capables de soulever des centaines de millions de dollars sur les marchés financiers – grâce à des dettes ou des stocks. Mais les entrepreneurs sociaux, qui dirigent des entreprises à but non-lucratif, doivent généralement trouver des fonds grâce à des fondations qui leur délivrent de petites enveloppes et seulement à court terme. Parce que le financement est si fragmenté, les entrepreneurs sociaux finissent par passer 80% de leur temps à chercher des fonds au lieu de le passer à diriger leur entreprise. C’est un énorme ralentissement. Les entrepreneurs sociaux ont un autre problème qui est celui de faire croître durablement leur capital. Le corollaire à ce problème est la difficulté à recruter et à garder des gens très talentueux. Un autre blocage est le manque de passerelles à double sens entre les entrepreneurs sociaux et les hommes d’affaires ou le gouvernement.
9. Question : Ainsi que pourraient faire les gouvernements ou les sociétés pour encourager et développer l’entreprenariat social ?
Réponse : L’entreprenariat social peut et doit être encouragé à de nombreux niveaux. Par essence, le but est d’aider à construire une société dans laquelle de nombreuses personnes ont la confiance, les capacités et le désir de résoudre les problèmes qu’elles peuvent voir autour d’elles. Les qualités les plus importantes pour un entrepreneur social sont l’empathie, la capacité à collaborer et la croyance obstinée dans le fait qu’il est possible de faire la différence, tout ce qui motive et pousse les gens à agir. Le système éducatif pourrait être amélioré pour inculquer aux jeunes ces différentes qualités au travers d’expériences formatrices, pour leur donner le sens de l’action, le sens de leur propre pouvoir relié à un cadre éthique. J’ajouterais que ceci devrait être un but fondamental de l’éducation. Dès lors qu’un enfant a eu cette expérience, il ne fera jamais marche arrière pour devenir un acteur passif de la société. Nous pourrions introduire dans le CV de chaque école de telles expériences. Nous pourrions utiliser les médias pour rendre plus visible l’entreprenariat social. À un niveau plus avancé, les entrepreneurs sociaux ont besoin d’une variété de financements et de supports structurels -de nouvelles lois, des financements moins fragmentés et plus rationnels et des passerelles plus solides avec le gouvernement, les entreprises et les académies.
10. Question : qui est le Steve Jobs de l’entreprenariat social ?
Réponse : L’entrepreneur social le plus connu serait Muhammad Yunus, le fondateur de la Grameen Bank. Comme Jobs, Yunus a pris un produit - le crédit - qui était autrefois un produit exclusif (tout comme les premiers PC), et les présenta au grand public. En faisant cela, sa banque permit de démocratiser l’accès au capital d’une façon similaire à celle d’Apple lorsqu’il démocratisa l’accès à l’information. L’effet est similaire : plus de choix et d’auto détermination dans les mains d’un nombre plus important de personnes.
11. Question : L’entrepreneur du milieu de l’Afrique qui obtient un micro-prêt et subvient aux besoins de sa famille est-il tellement différent de Bill Gates ou Steve Jobs ?
Réponse : Oui et non. En termes de vision et d’aspiration, les Bill Gates et Steve Jobs sont plutôt rares. Oublions l’Afrique, il y a de nombreuses personnes nées dans de bonnes sociétés, ayant eu la meilleure éducation qu’il soit, une grande ouverture d’esprit, beaucoup de confiance, et qui ne deviennent pourtant pas entrepreneurs. Ça n’est pas ce qui les attire. Les entrepreneurs sont plus excités par l’idée de rendre leurs visions réelles. D’autres personnes tirent une grande satisfaction grâce à des choses différentes : les relations entre les personnes peut-être ou l’enseignement, l’art de guérir, faire de la belle musique. Il n’y a pas de grandes différences entre diriger une affaire comme Bill Gates et Steve Jobs et des entrepreneurs sociaux comme Jim Grant, Muhammad Yunus, Fazle Abed, or Bill Drayton. Mais clairement, tout le monde n’a pas le tempérament et le désir d’être un entrepreneur pour faire des profits, heureusement ! Il y a aussi des entrepreneurs à des niveaux différents. Certains construisent de petites organisations, d’autres des moyennes, ou encore des grandes. La différence réside dans ce qui est pour eux le plus important dans la vie, quelle place ils s’accordent pour rêver et où ils vont pour prendre du repos. Sans aucun doute, des millions de micro entrepreneurs en Afrique, au Bangladesh et dans tous les pays en voie de développement ont un fabuleux potentiel sous-utilisé ou inexploité. Étant donné les supports structurels et l’exposition, une majeure partie des entrepreneurs voudrait continuer à construire des entreprises ou des organisations sociales prospères, une autre partie continuerait à monter des entreprises internationales. Mais il est important de constater que les entrepreneurs ne sont qu’un ingrédient dans le processus de changement. Les entrepreneurs réussissent seulement tant qu’ils peuvent réunir des personnes aux talents différents et aux capacités qui peuvent, en tant qu’équipe, créer ce qu’ils ne pourraient jamais faire seuls. Les entrepreneurs sont des centres ou des aimants, ils organisent les forces. Il faut de nombreuses mains travaillant ensemble pour produire un changement signifiant.
L’article qui précède est la traduction de l’article Social Entrepreneurship: Ten Questions with David Bornstein de Guy Kawasaki. La traduction et publication sont autorisées par l’auteur: retrouvez régulièrement sur notre blog les articles de Guy Kawasaki.
Guy Kawasaki est Directeur de Garage Technology Ventures, une société de capital-risque qui investit tôt dans les sociétés. Guy est également éditorialiste pour Entrepreneur Magazine. Auparavant, Guy avait le titre d’Apple Fellow chez Apple Computer, Inc. Guy est l’auteur de huit livres, incluant L’art de se Lancer, Rules for Revolutionaries, How to Drive Your Competition Crazy, Selling the Dream, and The Macintosh Way. Guy possède un BA de l’Université de Stanford et un MBA de l’UCLA, ainsi qu’un Doctorat honorifique du Babson College.